Systémique, le grand frein

                                   5 septembre 2021

   Si je suis tombé dans la bassine de la pensée systémique, c'est à cause des malades alcooliques que j'ai choisi de prendre en charge pour les soigner en un temps où on ne s'en préoccupait guère du côté de la citadelle médicale (1). Les soins, alors orientés par la seule obsession d'empêcher par tous les moyens (2) les malades de boire jusqu'à la fin de leurs jours, les conséquences bien connues de leur alcoolisation étant dramatiques. Oui, la lutte contre l'alcool s'est avérée une voie thérapeutique on ne peut plus désespérante, tant pour les soignants que les soignés et... leur entourage. Erreur de compréhension d'une pathologie, tant féminine que masculine, impliquant toujours un entourage particulièrement complexe (3). Ne s'occuper que de la substance toxique a conduit à une sorte de négation de la personne humaine dans toute sa complexité.
Rendons à César ce qui lui appartient. La notion d'addiction (anglicisme francisé) proposée par le psychiatre Jean-Paul Descombey ( in «Alcoolique, mon frère, toi», Privat 1985) a été une ouverture majeure, la personne reprenant la priorité sur la substance toxique.

   Une industrie pharmaceutique aux aguets d'une clientèle potentielle énorme s'est engagée dans le créneau de la nouvelle alcoologie, avec un biais majeur. La course après la substance capable de faire disparaitre, ou diminuer, les comportements de dépendance à l'éthanol. Là encore, il n'y a pas eu de miracle, les promesses sont tombées... à l'eau.

   C'est finalement la thérapie familiale en psychiatrie, dans la lignée de l'école californienne de Palo-Alto, qui a ouvert une porte inédite. Celle de l'abord systémique des situations de chaque personne et de chaque groupe concernés par cette «addiction» dévastatrice.

   Je le dis sans détour, ayant mis en place un bon nombre de formations de professionnels, cette idée même de pensée systémique ne séduit pas les esprits. Trop complexe, trop nouveau, trop dérangeant dans nos précieuses routines. Ce qui ne veut pas dire dénué d'intérêt et sans avenir possible.

   Et pourtant, notre culture biologique ne cesse de décortiquer plus finement les systèmes qui pilotent le fonctionnement du vivant. Du cycle de reproduction au système neuro-endocrinien, de l'embryologie aux acides nucléïques, nous jonglons avec une quantié de systèmes. Cela pourrait être un chaos. Pas vraiment, tout le vivant semble présenter une surprenante harmonie, et un mouvement d'ensemble souvent nommé l'évolution. Bien que celle-ci ne semble pas toujours rectiligne.

   À quoi obéit cette myriade d'entités systémiques, dont nous ne connaissons toujours (4) qu'une partie. Au hasard dit-on, pour camoufler notre ignorance. N'est-ce pas alors ériger, Philippe Guillemant l'affirme, cette indétermination en une divinité absolue ?
Un autre physicien, David Bohm, a proposé la notion d'un ordre impliqué capable de mettre en route l'ordonnancement des réalités que nous constatons. Un biologiste d'origine britannique, Rupert Sheldrake, propose l'hypothèse de champs morphogénétiques jouant le même rôle de signaux déclencheurs des mécanismes organiques. Le même auteur nous invite à continuer à nous émerveiller dans son livre de 2012 : Réenchanter la science ( Albin Michel). Tout un programme.
La connaissance scientifique tourne autour du pot d'une connaissance globale et unifiée de la réalité. Pourquoi n'y parvient-elle pas ?
Serait-ce lié aux frontières qu'elle s'impose elle-même par souci de rigueur et d'objectivité ? Ses méthodes la rendent-elles aveugle et muette à ce qui est hors de son champ d'investigation?

   Tentons de formuler clairement la situation. Peut-il exister un système des systèmes ? Sans sombrer dans des pistes ésotériques ou spirituelles incontrôlables, notre intelligence humaine est-elle physiologiquement capable d'accéder à ce savoir des savoirs ? À ce que Dominique Aubier nomme le système des systèmes, le système absolu ? Les scientifiques, dont elle n'était pas, continuent de faire comme si elle n'avait jamais existé.
Ou bien, comme nous avons tendance à le faire dans de multiples domaines, est-il sage d'attendre que l'intelligence artificielle soit capable de fournir la clé de cette grande énigme ? Notre avenir en dépend à court terme, cela nous est assez dit sur tous les tons.
On continue de passer à côté comme si on avait rien vu ?

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Notes:

(1) Quelques détails https://www.exmed.org/exmed/and.html

(2) Y compris par des cures de dégout, des implants sous-cutanés de subtances dites antabuse ( espéral), des enfermements en services fermés, des chimiothérapies diverses etc...

(3) D'où un engagement actif dans l'Association pour le développement de la recherche des intervenants en alcoologie (ADRIA), la Société française d'alcoologie (SFA) et la société médicale Balint locale.

(4) Les virus, comme les prions, parmi bien d'autres, nous le disent sans ménagement.

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Os court :

« À vieille mule, frein doré. »

Proverbe français

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